L’exemple de Varages

En 2001, année du renouvellement des élus municipaux, quelques varageois ont proposé d’arrêter de simplement dénoncer et contester les problèmes liés à la privatisation de la gestion de l’eau potable et de passer enfin à des propositions concrètes de gestion publique en se présentant aux élections municipales.

Extrait du blog de Michel Partage, maire de Varages  : http://michelpartage.unblog.fr/arti…

Histoire de l’eau à Varages

La commune de Varages est liée depuis toujours à l’histoire de l’EAU.

Le village a été construit sur une barrière de tuf grâce au dépôt de calcaire de la source de la commune. Après la canalisation de cette source qui jaillit au cœur de la commune, les marécages se sont transformés en plateau qui depuis accueillent nos maisons et les 1 000 habitants.

Les poteries puis la faïence à partir de 1696 ont trouvé un lieu privilégié pour acquérir une grande réputation toujours grâce à cette source : LA FOUX.

Au dessous de la barre de tuf, 23 ha de terre irrigable fournissent les légumes pour la centaine de varageois passionnée par le jardinage familial. De nombreux habitants ont donc un « petit carré » de terre pour faire leur potager.

Pour irriguer ces 23 ha de terre par la source de la Foux, un syndicat des arrosants a été créé en 1865. Son rôle est de répartir au plus juste la distribution de l’eau de la source avec un calendrier suivi à la minute près. Chaque parcelle de terre a donc son droit d’arrosage calculé par rapport à sa surface. Cela peut aller de 15 min à 3 heures par semaine. L’eau est distribuée à tour de rôle en rapport du quartier dans lequel la parcelle est située.

Nous sommes en Provence et l’eau est précieuse. Il faut l’utiliser avec précaution et être sûr qu’elle ne se gaspille pas.

Mon père avait compris la grande importance d’une bonne gestion de ce bien précieux. Il s’y est investi toute sa vie et a présidé le Syndicat des Arrosants pendant 20 ans. J’ai été élevé dans ce milieu du respect du droit d’eau pour les arrosants. Tout jeune, j’ai connu les joies d’aller donner l’eau à la terre mais également les fortes disputes avec ceux qui nous « volaient » notre tour d’eau.

Notre droit d’arrosage était le mardi soir de 23 h à 2 heures du matin pour les prés et le mercredi matin de 6 h à 7 heures pour le potager. A 8 ans j’ai eu droit à ma première lampe électrique pour surveiller la nuit que les prés étaient bien arrosés. Nous avions chacun notre mission. Les prés étaient grands et en pente. Mon père s’occupait de surveiller que l’eau parvienne bien à la propriété le mardi soir de 23h à 2 h. Mon frère aîné était chargé de déplacer « les martelières », ce sont des plaques de fer que l’on enfonce dans les ruisseaux pour faire déborder l’eau des canaux afin qu’elle arrose les prés par inondation. Mon rôle était de me tenir au bas des prés et de prévenir lorsque l’eau arrivait afin que mon frère aîné change « les martelières ». Tout cela jusqu’à 2 h du matin où l’eau était orientée vers une autre parcelle de terre.

A 8 ans, on est fier d’avoir une lampe électrique et d’être « responsable » de l’arrosage des prés. Mais la nuit, seul dans les prés avec le bruit de l’eau, l’imagination prend quelquefois le dessus. Le vent dans les arbres, les ombres portées par un croissant de lune… Une soirée, le sommeil a pris le dessus, je me suis réveillé allongé dans une flaque d’eau. Mon père me cherchait en se demandant ce que je pouvais bien faire…

Le syndicat des arrosants a toujours été garant d’une bonne répartition de l’eau pour les terres irrigables mais également pour que la commune puisse obtenir 5 litres seconde pour l’eau potable des habitants ainsi que pour les fontaines de Varages. Cette répartition a toujours trouvé son équilibre entre l’eau pour les arrosants et l’eau potable pour les villageois. Il faut préciser que les membres du syndicat des arrosants étaient souvent les mêmes que les élus du conseil municipal.

La gestion de l’eau potable était assurée par des employés communaux. Elle était publique. Elle fonctionnait très bien.

1990 : privatisation de la gestion de l’eau

En 1990, de nouveaux élus à la mairie de Varages ont décidé de privatiser la gestion de l’eau potable sans rien demander à personne. Ils ont délibéré en séance du conseil municipal pour donner en affermage à une société privée la gestion de la source qui était sous la responsabilité des arrosants depuis plusieurs siècles.

Lorsque mon père a découvert cette aberration, il a essayé de faire « casser » cet accord fait en totale discrétion. Il a mené des actions. Il a mobilisé d’autres syndicats d’arrosants. Il a dénoncé l’appropriation illégale de la gestion de la source par la société privée.

Au bout de quelques mois, mon père a trouvé une faille donnant raison aux arrosants. La victoire et le retour à une gestion publique de l’eau potable était à porté de main. Pour contrer les arguments du syndicat des arrosants, la Préfecture du Var aidé par un élu varageois a obligé mon père à démissionner de la présidence du syndicat car il était belge. Selon la Préfecture, un étranger ne peut pas présider une structure syndicale. Pourtant, cela faisait 20 ans qu’il avait cette responsabilité et que la Préfecture visait toutes les délibérations. Les mois suivant la Préfecture a pris un arrêté d’utilité public donnant l’entière gestion de la source à la commune et donc par transfert à la société privée.

Le 18 mars 1993, quelques mois plus tard, ce combat et la déception de la perte de son poste ont affaibli fortement mon père qui s’est éteint à l’âge de 80 ans.

Les villageois se sont vite aperçus que la qualité du service public rendu par la société privée n’était pas à la hauteur des promesses faites par la municipalité. Ils ne voyaient pas souvent les salariés, la réparation des fuites prenait 2 à 3 jours, l’eau potable avait un goût de chlore très fort qui ressemblait à l’eau d’une piscine. Varages fait parti du monde rural. Dans ce secteur, les sociétés privées ne trouvent pas leur rentabilité espérée. Elles économisent donc sur les frais de personnels au détriment d’un service public de qualité et de proximité.

Le contrat d’affermage était établi pour 12 ans c’est-à-dire jusqu’en 2002. Pendant ces longues années, les varageois ont dénoncé les aberrations de ce système.

Bataille pour le retour à une régie publique

En 2001, année du renouvellement des élus municipaux, quelques varageois ont proposé d’arrêter de simplement dénoncer et contester les problèmes liés à la privatisation de la gestion de l’eau potable et de passer enfin à des propositions concrètes de gestion publique en se présentant aux élections municipales. Il y a donc eu deux listes en concurrence avec comme thème principal la gestion de l’eau et de l’assainissement. Une pour le renouvellement du contrat d’affermage et l’autre pour un retour en gestion publique de l’eau potable.

La campagne électorale a été mouvementée. Il était difficile de lutter contre les « ragots » et les fausses informations distillées par la mairie sortante et la société privée aux habitants : « Si la liste pour une gestion publique est élue, vous aurez tous des gastrœntérites et d’autres maladies, il n’y a que les sociétés privées qui peuvent gérer correctement avec toutes les normes européennes actuelles. En plus ils seront obligés de doubler les prix de la gestion de l’eau et de l’assainissement… »

Le 18 mars 2001, nous avons obtenu une forte majorité, avec 14 élus sur 15. Cette élection est devenue un référendum grandeur nature. Les nouveaux élus, dont moi-même, n’avaient jamais siégé dans un conseil municipal. Nous étions tous des néophytes dans ce domaine.

Nous avons vite compris que les élections étaient la partie la plus simple d’un retour en gestion publique. Il fallait maintenant mettre en place un véritable service public. Trouver la personne qualifiée qui puisse assurer la responsabilité de ce nouveau service. Les petites communes du monde rural ont cette difficulté supplémentaire d’être obligé de trouver du personnel. Elles doivent partir de zéro et tout reconstruire, tout inventer. En effet, les employés de la société privée ne sont pas affectés à une seule commune, chaque salarié gère plusieurs communes afin d’être plus rentable. Ce problème ne se présente pas pour les villes qui reviennent en gestion publique. Elles recrutent l’ensemble du personnel des sociétés privées.

Malgré une forte majorité d’élus favorables à une gestion publique, le jour du conseil municipal où vous présentez la délibération qui va mettre un arrêt définitif à la gestion par le privé, vous avez peur, vous vous faites une dernière fois l’avocat du diable en vous demandant si vous n’allez pas faire une erreur incommensurable. Et si tous les « ragots » que vous avez entendus étaient vrais !!!!! Il y a une étape psychologique à passer qui est très difficile pour un Maire. C’est souvent à ce niveau que les élus reculent et qu’ils proposent de renouveler une dernière fois le contrat d’affermage, laissant à la prochaine municipalité le soin de réaliser le retour en gestion publique.

Nous avons effectué ce retour en 3 étapes. La première année nous avons récupéré la facturation et les réparations des petites fuites, le reste a été assuré en prestation de service. La deuxième année nous avons assuré la chloration, l’entretien et les travaux d’agrandissement. La troisième année la totalité du service avec le contrôle de la station d’épuration. Actuellement seule l’élimination des boues de la station d’épuration est traitée par une société privée car nous n’avons aucune possibilité de le faire nous même.

Pendant les 2 premières années, nous nous attendions tous les jours à découvrir un problème que nous n’avions pas prévu. On nous avait tellement martelé que c’était impossible à assurer nous même, que nous finissions quelquefois par douter de notre possibilité de savoir gérer un service par des employés communaux. La grande difficulté également, nous n’avions pas de référence de commune identique à la notre qui avait réussi un retour en gestion publique de l’eau et de l’assainissement.